L’apiculture a beaucoup de points communs avec la pratique du haïku :
1 – Le suivi des saisons, l’observation du temps qu’il fait.
L’apicultrice est spécialement sensible aux rythmes saisonniers et aux floraisons. Pour bien traiter les abeilles et avoir du bon miel, il lui faut être attentive au climat et à ses changements. À la sortie de l’hiver, les fleurs de saule marsault (Salix caprea) et de noisetier vont nourrir les abeilles. À l’automne, les asters et les fleurs de lierre vont leur permettre de constituer les réserver d’hiver. La floraison des fruitiers (prunier, cerisier, pêcher, pommier…) est fêtée tant par les apiculteurs que par les poètes du haïku ! Ceux-ci emploient souvent le Kigo (ou « mot de saison ») pour donner une saveur particulière à leurs poèmes, un ancrage dans le présent de la nature.
2 – L’attention aux petits êtres vivants.
L’apicultrice doit faire très attention, quand elle ouvre la ruche, à ne pas écraser la reine qui se cache à l’intérieur. Elle doit connaître parfaitement la biologie de l’abeille, le cycle de ponte, etc. Les poètes de haïku sont attentifs aux petites choses, aux petits êtres, aux insectes…
3 – La ruche est structurée : la construction des alvéoles et des rayons de cire répond à une structure précise. Ce cadre accueille des parfums très nuancés et toute sorte de couleurs de pollen : du jaune d’or du pissenlit au noir profond du coquelicot. Le haïku a aussi une structure de base (5-7-5) où peuvent s’exprimer des styles et des voix très différents.
4 – L’Humain, dans le haïku, passe souvent au deuxième plan. L’apicultrice s’efface devant les mystères de la ruche. Elle ne cesse d’apprendre ce que les abeilles lui enseignent. Une grande humilité est nécessaire pour être apiculteur ! Même si on apprend la technique, on reste toujours innocent.
5 – Certains apiculteurs utilisent beaucoup de fumée pour dompter les abeilles et éviter les piqûres. Cela fait croire aux abeilles qu’il y a un incendie et masque leurs hormones. Mais si on est délicat, si on n’ouvre pas la ruche par temps froid ou avant un orage par exemple, on n’a pas besoin de fumée (les Japonais n’utilisent pas de fumée !). Les Haïjins n’ont pas besoin d’enfumer les lecteurs : ils et elles n’emploient pas ou peu d’artifices, pas de mots décoratifs qui l’éloignent de l’essentiel…
6 – Enfin, le miel ! C’est un aliment complet et parfumé, à la fois simple et complexe : un seul ingrédient en contient des milliers. Le miel est fabriqué à partir du nectar que les abeilles se passent de bouche en bouche (ce phénomène est appelé trophallaxie). À chaque passage, le nectar est enrichi d’enzymes du jabot des abeilles. Le miel est donc né d’un partage… Comme le haïku, qui passe d’une bouche à l’autre, s’échange et se propage.
Merci à la revue et au kukaï Manmaru qui nous offrent cette possibilité en traduisant et publiant ce texte en japonais.
Butinent ensemble
Les abeilles et les frelons
Les fleurs de lierre
isabel Asúnsolo, poète et apicultrice,
automne 2021