LA RUCHE PLEINE
En mai, vient une étape cruciale dans la vie de la ruche. En cas de surpopulation, s’il manque de la place, la reine peut partir du jour au lendemain avec la moitié des abeilles. Ce phénomène est précédé d’une sorte de fièvre étrange : c’est la fièvre de l’essaimage.
La ruche est toujours à la recherche d’un équilibre précis entre le vide et le plein. Les alvéoles de cire délicate doivent être remplies de réserves – du pollen et du nectar – pour alimenter le couvain, passer l’hiver et isoler la ruche. Mais il faut aussi du VIDE pour permettre à la reine de pondre, dans chaque alvéole, un œuf minuscule. À la belle saison, elle peut en pondre plus de mille par jour !
Ma maison déborde de livres. Tous les jours, je remplis un carton pour la boîte-à-livres de la ville de C : des romans que je ne relirai pas, de la poésie qui ne me plaît plus ou… qui ne m’a jamais plu. J’arrache alors la page de la dédicace (comme mon narrateur dans Noé sur la falaise !). Il y a aussi les revues de pêche du fiston, les guides de voyage de lieux où je n’irai jamais, les vieux magazines littéraires, les catalogues d’éditeurs et d’auteurs…
Je ressens de la perplexité : comment ai-je pu oublier telle personne ? (Mais je ne me pose pas, heureusement, la question presque homographe Comment ai-je pu publier telle personne ?)
Je chercherai son nom sur la Toile, me dis-je…
Et cet éditeur décédé qui a tant fait pour la poésie ? Qui pense à lui et à ses livres, maintenant ? Curieusement, et c’est triste, beaucoup d’éditeurs et éditrices amis de ma bibliothèque sont morts. Sur les sept qui ont eu l’extrême gentillesse de me publier, quatre sont disparus.
Un éditeur qui meurt c’est pire qu’une bibliothèque qui brûle !
On pourrait croire que quelqu’un prendra le relais de tout ça, mais c’est rare*.
Les reines de la ruche ne vivent pas éternellement : elles partent d’abord avec leur suite puis s’éteignent quelque part, dans l’herbe verte, à l’ombre du feuillage, sans qu’on en retrouve la trace.
Pour les livres dont je vais me séparer, je prends le temps, reviens en arrière, change d’avis et surtout, feuillette pour comprendre ce que je recherche dans un livre… L’origine de tout ça ! Qu’est-ce qui m’arrête et me saisit ?… Perpétuelle et passionnante énigme… Assise par terre, je lis ou relis avec plaisir, retrouve tel livre prêté que je croyais perdu, des cartes postales de Berthe Morisot, une collection de cartes de papillons offerte par un auteur ami.
Je ressens une délicieuse mollesse. Je suis charmée exactement comme dans mon rucher en forêt, au milieu de dizaines d’espèces végétales différentes. Le temps passe différemment, je suis dans une concentration telle que je n’entends plus les oiseaux.
Quand les étagères seront vides, peut-être aurai-je envie de faire de nouveaux livres ?
Pour le moment, mes rayons vont se remplir autrement : avec plus de miel et moins de mots.
Vous le découvrirez au Marché de la Poésie qui vient…
Juin est imminent
De quelle fleur est le pollen
noir comme de l’encre ?
* Cela arrive, heureusement ! Je viens d’apprendre que Marion Boudet reprend le site La Toile de l’Un de son père Alain.
isabel Asunsolo, le 22 mai 22