Feras-tu encore des livres ?
Tu veux dire… ces parallélépipèdes qu’autrefois mes parents posaient sur leurs genoux pour y plonger le nez pendant des heures ? Ces petites briquettes feuilletées qui s’entassaient partout dans la maison ?
D’ailleurs, je ne supportais pas que ma mère lise… Je lui disais Pas lire ! Mais je la laissais tricoter car ce n’était pas en tricotant qu’elle était ailleurs, ce n’était que par la lecture qu’elle s’échappait, m’échappait…
C’était avant ! C’était il y a un demi-siècle exactement.
Mes parents sont toujours de ce monde, ils ont heureusement vécu longtemps et ils ont aussi vécu le progrès technologique qu’en Espagne on appelle digital…
Le problème c’est que moi je viens d’eux, d’eux deux, et que ce sont EUX qui m’ont MISE AU MONDE des livres…
Il faut dire, pour compliquer les choses (ou les rendre plus intéressantes), que mes deux parents sont aussi mes auteurs. L’un est la première de mon catalogue, l’autre le dernier.
Ma mère, je l’ai publiée en 2005 *, au début de l’aventure de L’iroli, et lui, mon père, en deux-mille-vingt **…
Entre les deux : 42 titres, certains en plusieurs langues, certains réédités…
Entre les deux : ma vie d’éditrice (pas d’éditriste, hein!)
Mais c’est dur et c’est lourd, les livres !
Dis, tu feras encore des livres ?
À mes deux parents, je leur devais ça : c’était leur plus grand souhait, UN LIVRE PAPIER ! Et je les ai satisfaits. J’étais, moi aussi, satisfaite : quoi de mieux que de travailler avec ses parents pour les aider à accoucher de leurs textes, de leurs aventures, de leurs histoires tant de fois racontées, écoutées ?
Quoi de moins après m’avoir, eux, donné la vie ?
Mais entre les deux : un monde. Entre 2005 et 2020 : une vie. La mienne de petite entrepreneuse de l’édition.
En 2005, je vendais facilement. Depuis, on sait tout ce qui est advenu : la vie virtuelle, qui nous est tombée dessus. Et je continuais − je continue ! − à les trimballer les livres, à les saisir avec les doigts et à les porter avec mes bras.
Feras-tu d’autres livres, dis ?
Tel libraire demande 3 exemplaires pour un salon breton : j’envoie.
Le résultat est qu’il en renvoie deux (dont un abîmé) et que je facture le troisième… qu’il paiera si le cœur lui en dit.
En décembre on prépare Noël, en janvier c’est l’inventaire…
Et je continue, et je poste…
Alizé c’est : port à mes frais et 40% de remise obligé. Cela fait quelques centimes de gagnés (par moi) à peu près…
Mais voici qu’un sytème de « distribution déléguée » est en train de se mettre en place grâce à l’association des éditeurs des Hauts-de-France : très bien ! Bienvenue ! J’espère juste tenir jusqu’à ce qu’elle voie le jour…
D’autres livres, dis, tu feras ?
Ah, l’auteur qui m’a dit : si mon livre ne se vend pas c’est parce qu’il n’est pas sur Amazon… Il aurait dû dire : il ne se vend pas parce que tu n’es pas, toi éditrice, présente sur les réseaux sociaux, immergée dans la fange de la jungle des gafa… Le problème vient de TOI qui n’aimes pas ça, qui préfères regarder les pâquerettes et faire des balades et faire écrire les enfants de la poésie… Toi qui lis encore au lit, le soir, plutôt que d’aller au charbon !
Ce même auteur, quand nous sommes rentrés ensemble dans la librairie où sont ses livres, il est sorti dare-dare dans la rue. Acheter un livre, le feuilleter, s’Y intéresser ? Ses petits écrans l’appelaient !
Pardon d’être à cran, pardon d’avoir (moi-même!) si mal à rentrer dans une librairie sans avoir un coup au cœur… Tous ces beaux livres…
Tu ne feras plus de livres, alors ?
Tu sais, c’est dur, c’est lourd les livres. Dans un sac-à-dos ça tire, ça fait mal, devine où ?…
Entre les omoplates, juste derrière la poitrine.
Heureusement, pour ne pas en finir là, je viens de faire une découverte merveilleuse.
Pas sur Amazon, nooon ! Mais ça se passe dans la jungle amazonienne quand même…
Comment n’avais-je pas eu plus tôt ce livre entre les mains ? Surprise des surprises, bonheur absolu de lire une bonne histoire dense, sans rien de superflu : Le Vieux qui lisait des romans d’amour *** !
Voilà la sève revenue dans mes veines ! Voilà revenu le souffle de lecteure lecteuse lectrice sur livre papier que je suis et serai, je l’espère, jusqu’au bout… Me voilà repartie, grâce à ce livre.
Et le meilleur de tout : il est petit et léger !
Bon Noël, soyez bien,
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isabel Asúnsolo